La pandémie de la covid-19 a donné un coup d’accélérateur au processus de transition énergétique dans les pays dites développés et émergents. L’Europe à travers son fameux Green Deal prévoit d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Aux Etats-Unis, c’est l’arrivée des démocrates aux affaires qui enclenche à nouveau la décarbonation de l’économie Américaine ; alors que le 14e plan quinquennal (2021-2025) reste une priorité affichée par les autorités Chinoises afin d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2060.
En effet, les matériaux critiques et les terres rares indispensables pour amorcer le passage vers les technologies sobre en carbone devient à la fois un enjeu stratégique et géopolitique qui se joue désormais en terre africaine afin d’avoir une main mise sur les ressources indispensables pour les entreprises technologiques et d’innovation de rupture dans les pays cités.
L’Union Européenne : enjeux et stratégies
L’année dernière, la Commission Européenne a identifié un certain nombre de matériaux critiques pour l’économie du bloc, en particulier pour son secteur d’automobile qui emploies directement et indirectement 13,8 millions de personnes (OSFME, 2021). Selon la Commission Européenne, l’UE dépend essentiellement de l’approvisionnement extérieur sur les matériaux critiques, en particulier le Cobalt dont 68% est fourni par la RDC, 78,8% du lithium viennent du Chili et 47% du graphite naturel sont importés à partir de la Chine.
La CE a mis sur pieds une stratégie costaud pour sécuriser son approvisionnement en minerais de cobalt, du lithium du graphite ainsi que du nickel auquel elle dépend considérablement. Par ailleurs, la Banque Européenne d’Investissement (BEI) est l’institution mise en avant pour atteindre les objectifs de l’UE en la matière.
Le rôle de la BEI, est d’assurer le financement aux entreprises extractives européennes afin de maintenir la souveraineté stratégique du vieux continent sur certains segment des technologies sobres en carbone et d’éviter toute forme de rupture d’approvisionnement en matière première critique. Elle apporte en particulier ses soutient au géant Suisse Glencore qui alimente les fabricants Européens de batteries électriques en minerai de cobalt et de cuivre en provenance de la RDC et de la Zambie.
L’institution financière Européenne (BEI) se positionne comme étant le cinquième plus gros bailleurs du continent. Et derrière sa stratégie soft se noue une diplomatie minière téléguidé par la commission européenne afin de nourrir les ambitions minières du vieux continent à l’égard de la monté en puissance de la chine sur certain segment des chaînes de valeurs critiques en Afrique. Notamment sur le contrôle des gisements de cobalt et de cuivre, de limiter ensuite l’offensive des entreprises Américaine sur le marché européen.
Chine : enjeux et stratégies
La Chine, premier pays pollueur au monde dispose du plus vaste plan de décarbonation économique de la planète. Selon les données officielles, la banque centrale Chinoise a octroyé 1 840 milliards USD en guise de prêts vert aux entreprises chinoises à la fin de l’année dernière afin d’atteindre un pic d’émission de carbone d’ici à 2030. L’Empire du milieu investit massivement dans les ressources naturelles critique en Afrique, en particulier en République Démocratique du Congo (RDC) ou la compagnie Chinois China Molybdenum exploite l’une des plus grandes mines de cuivre et de cobalt au monde. Un consortium d’entreprise Chinoise dirigés par Sinohydro et China Railway Engineering Corporation (CREC) sont détenteur de 68% des part de Sicomine, un projet d’exploitation de cuivre et de cobalt auquel participe l’Etat Congolais à hauteur de 32%. L’empire du milieu est par ailleurs le premier exportateur de cobalt au monde (95 000 tonnes/ans) et raffine plus de 68% du cobalt produit dans le monde. Parmi les autres compagnies Chinoises opérant en RDC figurent Huayou Cobalt, Chengtun mining, Wanbao et CNMC.
La stratégie Chinoise consiste à octroyer des prêts adossés aux ressources naturelles qui sont en général accordé par deux institutions financières Chinoises : La China Development Bank et l’Eximbank auteurs de 53% des prêts garanties par les ressources naturelles sur le continent. Elle ne prête sous aucune contrepartie politique relative aux questions de droit humain ou de démocratie. Ces prêts constituent une alternative sérieuse à l’aide occidentale car bien moins contraignante.
États-Unis : enjeux et stratégies
Quant aux États-Unis, l’arriver du président Biden ouvre une nouvelle page de l’histoire Américaine dans la course à la décarbonation y compris le rattrapage de son rivale Chinois qui a pris de l’avance durant les années Trump sur le développement des technologies sobres en carbone. La nouvelle administration compte transformer toute la flotte automobile en véhicule rechargeable d’ici la fin de cette décennie. Selon The Economist, les États-Unis devront consacrer 750 milliards de dollars par an d’ici 2035 et 900 milliards de dollars par an au début de 2040 afin de respecter l’Accord de Paris sur le climat.
L’Afrique devient aujourd’hui un échiquier sur lequel les États-Unis et la Chine sont rivaux et se dispute les intérêts stratégiques. Comme vu précédemment les investissements massifs de Pékin dans les ressources minières critiques, en particulier ceux indispensables pour la mise en œuvre des technologies sobre en carbone soulève une réelle inquiétude à Washington qui dépend fortement des terres rares et du graphite en provenance de la Chine.
Néanmoins, les Américains disposent des potentiels énormes à l’échelle nationale en ce qui concerne les ressources telles que le lithium. Grâce au processus de facilitation des investissements dans le secteur minier national, de grandes découvertes est en cours dans le pays. Notamment Piedmont lithium qui va ouvrir la première mine de lithium en Caroline du Nord. La société prévoit d’investir 500 millions de dollars et a annoncé avoir déjà signé un accord avec le constructeur de véhicule électrique Américain Tesla. D’autres recherche est en cours en Alaska, Arkansas et en Californie.
En Afrique, Geovic Cameroon PLC, une nouvelle société Américaine envisage de mettre en exploitation les gisements de cobalt, de nickel et de manganèse localisés au Cameroun. En 2016, l’Overseas Private Investment corporation (OAPI) ainsi la que la Société Financière Internationale (SFI) a octroyés un prêt de 643 millions de dollars à la compagnie de Bauxite de Guinée afin de passer d’une production de 15 millions de tonnes de bauxite à 18 millions de tonnes par an dans le but de rivaliser avec la Société Minière Boké détenue majoritairement par les compagnies Chinoises, qui a produit 35 millions de tonnes de bauxite en 2018. Il y’a seulement quelques jours, la compagnie Australienne Syrah Ressources a annoncé le début de la production commerciale des matériaux d’actif d’anode dans son usine de Vidalia aux États-Unis dont la principale matière première vient de sa mine de graphite de Balama en Mozambique. Le développement de cette mine de graphite mozambicaine sur le sol Américain devrait être une alternative à la production chinoise au quelle les États-Unis n’arrivent toujours pas à se server.
Conclusion :
Le verdissement des économies avancées vers les technologies sobres en carbone crée une réelle demande d’approvisionnement en ressources naturelles critiques en Afrique pour atteindre les engagements climatiques stipulé par l’Accord de Paris. Comme toujours, le continent Africain est relégué à la même place de fournisseur de matière première afin d’impulser cette transformation en cours dans le monde développé comme pendant la période des trente glorieuses années. Or, nous nous rendons compte que certains pays non producteurs de ces matériaux (Cobalt et Cuivre) à l’état brute, ont un leadership accentué sur l’exportation de ces mêmes matières à l’état raffiné, alors qu’à la base ils ne sont guère producteurs de ces ressources naturelles. En particulier la Chine qui exporte 65% du cobalt raffiné dans le monde pendant qu’elle importe chaque année plus de 95.000 tonnes de cobalt à l’état brute en provenance de la RDC. Les États-Unis qui ont connues une période de pose pendant les années Trump, reviennent en force avec la nouvelle administration pour rééquilibrer la balance entre l’Amérique et la Chine dans la course à la décarbonation, tout en misant sur l’approvisionnement interne afin de booster la croissance économique mise en mal par la covid-19. Donc les velléités d’une expansion vers l’Afrique subsaharienne pour sécuriser son provisionnement reste relativement mince. Alors que l’Union Européenne, région profondément dépendante de l’approvisionnement extra-communautaire bâtit à la fois une stratégie interne et externe pour sécuriser son approvisionnement. Le vieux continent emploie les moyens diplomatiques et financiers à travers la signature des accords et les prises de participation et de rachat de certaine mine en Afrique pour contrebalancer le leadership Chinois sur les matériaux critiques sur le continent Africain. Donc, face à cette course à la décarbonation, les pays Africains gagne une réelle opportunité d’imposer leurs diktats en obligeant leurs partenaires Américains, Chinois et Européens à développer des pôles de transformation de ces matériaux critiques sur place afin de pouvoir impulser l’industrialisation du continent Africain.
Mohamed Lamine SIDIBE
Spécialiste gouvernance et gestion des impacts des activités extractives
mlsidibe03@gmail.com