Ce vendredi 1er 2024, la monnaie a célébré son 64ème anniversaire. En 1960, c’est en effet, à cette date, que les autorités guinéennes d’alors, à la suite de l’indépendance politique acquise le 2 octobre 1958, décidaient de la création de la monnaie du nouvel Etat. Si aujourd’hui, avec tout le débat que suscite le Franc CFA dans les pays de l’UEMOA, les Guinéens peuvent légitimement remercier ceux qui avaient fait le pari de doter le pays d’une monnaie autonome, on ne peut pas cependant dire que tout a été rose ou que le parcours ait été un long fleuve tranquille. Il y a eu des motifs de fierté. Mais à côté, il y a eu des aspects qui n’ont pas franchement fonctionné, au-delà de la rengaine souverainiste. Mais à l’arrivée, le pays tient bon. C’est en substance ce que nous dit, dans la tribune ci-dessous, signée d’un expert qui a bien voulu partager sa réflexion sur la question.

« L’effort du gouvernement visant la pleine indépendance nationale et le développement d’une économie nationale s’est avéré infructueux tant que le pays n’aura pas été doté d’une personnalité monétaire propre et d’une autonomie financière réelle pouvant favoriser l’accroissement de la production et régler sur des bases saines les relations économiques et financières de la Guinée », affirmait Sékou Touré.

SECTION 1 : L’histoire de la monnaie guinéenne est conforme à celle du pays car derrière chaque mutation monétaire se cache celle de la politique et de l’économie. Le début de cette histoire remonte au 1er mars 1960, avec l’avènement de l’indépendance politique et de la souveraineté pleine et entière en Guinée le 2 octobre 1958. On assiste au remplacement du franc CFA par le franc guinéen et celui de la banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) par la banque de la république de Guinée (BRG). C’était d’abord le franc guinéen puis le Sily durant la première république (1960-1984), la monnaie redevient le franc guinéen après l’avènement de la deuxième république en avril 1984. Globalement, cinq réformes monétaires ont conduit à six émissions de billets différents entre la période de 1960 à 2000. Chacun de ces changements de signes monétaires, à l’exception de celui intervenu en 1999, a été motivé par des considérations politiques, pour marquer une rupture et un renouveau dans la gestion économique. La colonisation a été une motivation politique pour la première république, alors que pour la deuxième république, l’héritage du dirigisme économique a motivé ces mutations.

Après cet aperçu de la monnaie fiduciaire guinéenne et de sa banque centrale émettrice, intéressons-nous aux émissions fiduciaires successives et à leurs caractéristiques.

L’émission fiduciaire guinéenne depuis 1960 : Depuis sa création en 1960, l’histoire de la monnaie fiduciaire guinéenne a été marquée par plusieurs émissions, changements de noms des signes monétaires et de la banque centrale émettrice. Plusieurs dates ont marqué l’émission fiduciaire en Guinée :

1960 : cette date constitue un repère historique dans les annales de l’économie guinéenne, car elle marque la création de la banque centrale guinéenne dénommée banque de la république de guinée (BRG) le 29 février 1960 sous la forme d’une banque universelle exerçant à la fois des fonctions de banque commerciale, d’institut d’émission, et de banque de développement (financement des activités économiques).

Le ler mars 1960 : création de la monnaie guinéenne, elle s’appelle le franc guinéen (GNF), elle se substitue au franc CFA et la valeur d’échange est fixée sur la base de 1 franc CFA = 1GNF.

1961 : la banque centrale de la république de Guinée (BCRG) remplace la banque de la république de guinée (BRG). La BCRG se désengage des fonctions de banque commerciale et de banque de développement pour ne conserver exclusivement que les fonctions d’émission. Avec la vague de la nationalisation des banques étrangères dans le pays, plusieurs banques publiques et entièrement étatiques à vocation spécifique sont ouvertes : – la BNDA (banque nationale pour le développement de l’agriculture). – la BGCE (banque guinéenne du commerce extérieur). – le Crédit national pour le commerce, l’industrie et l’habitat.

1963 : nouvelle émission du franc guinéen, pour remplacer la précédente émission jugée de qualité peu appréciable, cette émission n’a eu aucune incidence sur la circulation fiduciaire en Guinée car elle n’avait qu’une fonction de remplacement des anciennes coupures.

1972 : le Sily (GNS), nouveau signe monétaire se substitue au franc guinéen, et l’échange monétaire se fait sur la base de 1 GNS = 10 GNF. Deux autres banques publiques vont voir le jour dans les années 70, notamment la banque nationale des services extérieurs (BNSE) pour les transferts et le change manuel, c’est à dire le financement des transferts à caractère non commercial et la banque nationale d’épargne et de dépôt (BNED) dont la fonction essentielle était de collecter la petite épargne des travailleurs.

1980 : En janvier 1980, l’institut d’émission est séparé de la banque centrale et rattaché directement à la présidence de la république. L’émission des billets est considérée par le président comme un acte d’Etat qui requiert donc une supervision et un contrôle présidentiel pour éviter l’inflation due à une mise en circulation excessive de billets par la Banque centrale. Cette séparation de l’institut d’émission a dépouillé la banque centrale de l’une de ses missions primordiales, en devenant ainsi une simple tutelle rapprochée des établissements bancaires publiques.

1981 : une nouvelle émission de Sily a lieu dans le cadre de la quatrième réforme monétaire, qui avait pour objectif le dégonflement de la circulation monétaire et de conforter les encaisses bancaires, par la mise en circulation des coupures d’une forte valeur faciale.

1982 : une esquisse de libéralisation timide a lieu avec la création de la BCG (banque commerciale de Guinée), avec un statut d’établissement public.

1983 : Création de la première banque privée, dénommée banque islamique de Guinée (BIG). Malgré l’étatisation complète des activités économiques et notamment du secteur bancaire, la création de cette Banque privée a été favorisée plutôt par des considérations politique et religieuse que par des considérations économiques. Notamment par la participation active de la Guinée au sein de l’organisation pour la conférence islamique (OCI), de son partenariat stratégique avec les fonds arabes, notamment le fonds saoudien de développement et la Banque islamique de développement (BID), mais aussi des conditions particulières d’octroi de prêts qui obéissait à la charia islamique, interdisant le prélèvement des taux d’intérêt sur les prêts consentis. Il est cependant important de préciser que l’orientation politique et économique résolument socialiste de la Guinée durant la première république de 1958 à 1984, s’inscrivait en droite ligne de la politique de bipolarisation du monde dans le contexte de la guerre froide entre les nations occidentales et le bloc communiste. Grâce aux conditions conflictuelles de l’acquisition de son indépendance d’une part, de son excommunication dans le pré carré français d’autre part, mais aussi dans le souci de profiter des avantages concurrentiels de la bipolarisation du monde. La Guinée s’est orientée vers un système de type dirigiste ou collectiviste. Cette période se caractérise par trois grandes étapes :

(1960-1964) : on assiste à la mise en place d’une politique monétaire dont l’orientation et la gestion obéissaient aux règles classiques d’une gestion monétaire, avec un faible degré d’interférence gouvernementale dans les affaires bancaires.
(1964-1972) : on assiste à la radicalisation du pouvoir politique qui a interdit des activités commerciales privées sur toute l’étendue du territoire national en vue de se conformer à l’idéologie politique et économique socialiste, tout en étouffant la bourgeoisie naissante.
Ces mesures suppriment des opérations de prêts au secteur privé, en orientant l’essentiel des prêts vers le secteur agricole et des coopératives qui étaient considérés comme la clé de voûte du développement.

(1972-1984) : on assiste à la consolidation des prêts vers le secteur agricole et une grande interférence gouvernementale dans la gestion monétaire. La décision d’émission monétaire provenait directement du président de façon unilatérale sans tenir compte de l’évolution de la situation économique d’ensemble.
A la lumière de ces détails, nous pouvons affirmer que durant ces vingt-quatre années de gestion monétaire, les établissements financiers ont largement dévié de leurs missions naturelles d’intermédiation financière entre les agents à capacité de financement et des agents à besoin de financement. Les crédits étaient largement orientés vers les entreprises publiques, l’Etat, le secteur agricole et les coopératives. Les établissements bancaires publiques n’avaient plus la contrainte de solvabilité dévolue aux intermédiaires financiers, mais plutôt ce sont des critères idéologiques et sociaux qui prévalaient. Ces évolutions ont conduit à une situation économique et monétaire dramatique. Le libéralisme économique initié en 1984, a permis de rompre avec l’étatisation bancaire, mais ces banques traînent le pied dans le financement du secteur privé, en se justifiant du manque de projets bancables crédibles.

SECTION 2- La libéralisation depuis 1984

A la faveur du changement de cap politique intervenu en avril 1984, après le décès du premier président guinéen et dans le souci de marquer une rupture avec l’ancien système, le gouvernement de la deuxième république s’oriente, après une brève période de retenue, pour une politique économique profondément libérale. En septembre 1985, une refondation systématique de la structure de la banque centrale s’opère. Cette restructuration est conduite par la Guinée sous la houlette du Fonds Monétaire international et avec l’assistance de plusieurs experts et cadres des banques centrales des pays francophones. La BCRG retrouve et recouvre alors toutes ses prérogatives d’émission. En décembre 1985, le discours programme du nouveau président fixe les directives de la nouvelle politique économique du pays orientée vers l’économie de marché avec une inspiration totalement libérale.

1986 : on assiste à la liquidation de toutes les banques d’Etat et la naissance de nouvelles banques commerciales à capitaux privés ou mixtes. Un vaste chantier de réforme monétaire commence en janvier 1986 qui se termine par une dévaluation du Sily de 92% de sa valeur par rapport aux devises, en vue de conférer à la monnaie guinéenne une parité réaliste selon les règles du marché, la parité du Sily avec le dollar était 1USD = 25 Sily, alors que sur le marché parallèle, elle se négociait à 1USD contre 250 Sily, soit environ dix fois plus que la valeur officielle. Cette dévaluation est sous-tendue par un nouveau changement de signe monétaire, la monnaie redevient le franc guinéen (GNF), avec une nouvelle parité 1GNS = 1GNF. En janvier 1986, l’on assiste à la mise en place d’un marché hebdomadaire des devises aux enchères à la BCRG, avec une flexibilité contrôlée du franc guinéen. Dorénavant, c’est la BCRG qui définit et oriente la politique monétaire et celle des changes en se référant aux clauses du programme d’ajustement structurel négocié par la Guinée avec les institutions de Bretton Woods.

1994 : La promulgation de deux lois concernant la réglementation des établissements de crédits et la redéfinition du statut de la BCRG. Ces textes confèrent de larges pouvoirs à la banque centrale en termes de gestion monétaire, de gestion des changes et de la surveillance du système bancaire et financier en général.

1999 : L’actualité monétaire était marquée par l’insertion d’une nouvelle coupure de francs guinéens dans la circulation monétaire, qui servira juste au renouvellement des anciennes coupures usées par la vitesse de circulation trop grande, grâce à la forte préférence pour la monnaie manuelle et elle remplacera celles-ci au fur et à mesure de leur retrait de la circulation. Cet aspect historique de la monnaie fiduciaire guinéenne fait ressortir clairement le résultat de 64 années de gestion monétaire centré sur l’évènementiel. Notons que de 1960 à nos jours, la Guinée n’a connu que deux signes monétaires, à savoir le Sily (GNS) et le franc guinéen (GNF) et parallèlement elle a connu cinq reformes monétaires, six familles de billets et quatre familles de pièces qui ont successivement circulé en servant de moyens de paiement. Il est important de rappeler que durant la première république, la monnaie guinéenne n’avait aucune valeur de convertibilité en dehors du territoire national par le fait d’une surévaluation unilatérale de la monnaie nationale contre devises. Les biens de consommation finale et de production étaient largement subventionnés par le gouvernement, cette situation a favorisé la sortie massive des outils de production et des biens de consommation vers les pays limitrophes où les prix n’étaient pas subventionnés. Ceci démontre à suffisance l’isolement monétaire de la Guinée durant la période post coloniale (1958-1984). Avec l’alternance politique d’avril 1984, conformément à sa volonté de libéraliser l’économie et dans le souci d’un renouveau dans la gestion économique et monétaire, le nouveau pouvoir procède à la dévaluation de la monnaie par rapport aux principales devises en vue de la conférer une parité réaliste et raisonnable selon les règles du marché. Cette situation a favorisé un réaménagement systématique du système financier et bancaire guinéen comme nous le verrons dans nos prochaines sections

SECTION-3 Le système bancaire guinéen et la réglementation

A la suite du changement politique intervenu en Guinée le 3 avril 1984, le nouveau gouvernement a opté pour une politique de type libéral. Toutes les banques d’Etat ont été fermées au profit de nouvelles banques privées, suite à cette liquidation des six banques d’Etat en 1986, devenues illiquides et insolvables. Cette situation d’illiquidité des banques publiques était due à une gestion anarchique, à la prédation des dépôts bancaires et l’absence de sanction, il n’était pas rare que les employés de la banque se partagent les dépôts dès que les clients se retiraient, et les demandes de retrait étaient parfois inaccessibles par manque de liquidité. C’est pour ces raisons d’ailleurs que le secteur bancaire était devenu le secteur le plus attractif pour les jeunes diplômés. La fermeture de ces banques et leur remplacement par d’autres étaient une nécessité impérieuse afin de redémarrer sur de nouvelles bases, la création de ces nouvelles banques devant servir de support au programme de redressement économique de la Guinée. Il ressort aisément que le système bancaire d’avant 1984, était essentiellement basé sur des banques étatisées, dont les structures de gestion et de réglementation s’écartaient très largement des normes standards de la gestion bancaire moderne. L’établissement de ces nouvelles banques a été accompagné par la réorganisation de la banque centrale et la promulgation de deux lois portant respectivement statuts de la banque centrale et réglementation des crédits (loi Bancaire). Ainsi, à partir de 1985, les autorités monétaires ont procédé à un réaménagement systématique du cadre juridique afin de permettre au pays d’attirer de nouveaux investisseurs dans le secteur financier et bancaire. Sur le plan de la législation, une nouvelle loi bancaire a été promulguée le 06 mars 1985. Cette loi et ses textes d’application vont favoriser l’avènement de nouvelles banques à partir de décembre 1985. Le système bancaire de la Guinée depuis 1985 est composé de 19 banques commerciales y compris l’unique banque privée de la première république et de quelques institutions de micro finances.

Abdoulaye Guirassy, Economiste politologue

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