A l’occasion de la journée internationale de l’Océan, célébrée le 8 juin de chaque année, la Rédaction de votre quotidien en ligne a rencontré Mohamed Lamine Sidibé, Directeur Général du Milieu Marin et des Zones Côtières, au Ministère de l’Environnement, des Eaux et Forêts. Il s’est exprimé sur la politique de gestion des déchets en mer, les types de déchets et leur provenance. L’interview a été conclue par la proposition de quelques solutions visant à lutter contre la pollution marine. Nous vous proposons de lire, ci-dessous, l’intégralité de l’entretien.

Bonjour Monsieur Sidibé !

Bonjour !

Quelle lecture faites-vous de la Journée Internationale de l’Océan ? 

La journée internationale de l’océan est comme toute autre journée mondiale, à savoir la Journée de l’environnement, de la forêt, etc, qui sont des journées qui visent à mettre un accent particulier sur un phénomène ou une problématique environnementale spécifique, comme par exemple l’océan. On sait que l’Océan est une préoccupation permanente. Alorrs une journée entière a été symboliquement consacrée à l’océan. Cela fait partie des actes de sensibilisation, de promotion et de vulgarisation.

Quelle analyse donc faites-vous de la gestion des déchets en mer ?

La gestion des déchets se fait à plusieurs niveaux. Vous savez sans doute que l’océan occupe les 2/3 de la planète terrestre. Donc plus vaste que les continents. Et tous les exutoires, c’est-à-dire les eaux de ruissellement, les caniveaux, les canalisations, débouchent, traités ou non, sur la mer. Et pour traiter les déchets en mer, sachant que l’océan se comporte comme une sorte de vase communicant, il faut des initiatives au niveau régional et international.

Pourquoi au niveau régional et internationale ? C’est parce que si les sources de pollution sont localisées, on constate que les effets, eux, n’ont pas de frontière. Du coup, vous pouvez polluer chez vous le long de vos côtes, et que cette même pollution se retrouve chez le voisin, ou ailleurs au bout du monde ; d’où le sens de ‘’jeter une bouteille à la mer’’.

Ainsi, il y a deux stratégies : une gestion au niveau local, c’est-à-dire mettre fin ou réduire les sources de pollution. Il faut éviter que les gens jettent les ordures sur le littoral ou directement en mer. Parallèlement, comme deuxième stratégie, il faut s’attaquer aux déchets qui sont déjà en mer.

Dites-nous, d’où proviennent ces déchets ?

Il faut dire que 80% des déchets et des pollutions marines sont d’origine terrestre. Les eaux de ruissèlement se retrouvent soit directement en mer, soit dans les fleuves ou les cours d’eau. Et tous ces cours d’eau ont pour exutoire, la mer. Donc la finalité, d’une façon ou d’une autre, c’est la mer. Les sources sont d’origine terrestre, donc anthropique.

Quels sont les types de déchets qu’on retrouve en mer ?

Il y a plusieurs types de déchets. Mais les plus emblématiques ou les plus connus, qui se démarquent généralement, ce sont les déchets plastiques, à cause de leur difficulté à se dégrader, leur persistance dans la nature, leur capacité à flotter, et en plus leur volume. C’est-à-dire que les déchets plastiques sont à la fois volumineux et légers. Ils sont persistants et se dégradent difficilement. Encore pire, ils sont fragmentables. Si vous jetez une bouteille plastique en mer, par exemple, elle se décompose en formant des particules ; et ces particules forment d’autres particules plus fines. Et du coup, le problème est multiplié. Si c’est une bouteille entière, aucun poisson, ni tortue, ne l’avalera. Mais dès qu’elle forme des microfragments, elle est directement avalée par des poissons. Si le plastique est mangé par des petits animaux marins, tous les autres animaux marins qui se nourrissent de ces petits animaux marins, par le phénomène d’accumulation, vont concentrer ces microplastiques au niveau de leur corps. Puisqu’ils ne mangent que des animaux pollués, ils deviennent eux-mêmes pollués. Finalement, en tant que consommateur final, ça se retrouve dans nos assiettes.

Aussi, quand vous entendez parler de déchets plastiques biodégradables, faites attention. Les intrants d’un plastique réellement biodégradable sont d’origine végétale comme de l’amidon de maïs ou de manioc. C’est à base de produits naturels. Contrairement à cela, il y a ce qu’on appelle les plastiques bio fragmentables ou fragmentables tout simplement ; parce qu’on y a ajouté un additif chimique ; dès que vous l’abandonnez dans la nature, il se met en miettes. Là, c’est un danger pour l’environnement. Souvent, la plupart de ce que nous qualifions de                         biodégradables en Afrique, ne sont pas biodégradables, mais sont plutôt biofragmentables ; alors que le véritable biodégradable se décompose comme de la banane, du manioc ou du maïs.

Quelle est la durée de vie de ces déchets dans la mer ?

Leur dégradation complète peut prendre des dizaines d’années, d’autant plus que ce sont des produits chimiques obtenus par polymérisation. Pour être plus précis, la durée de dégradation dépend du type de plastiques. Il y a des plastiques qui sont encore plus difficilement dégradables. Ce sont, par exemple, les cas des plastiques composites où on trouve plusieurs mélanges de types de plastiques, qui ne sont pas recyclables.

Quelles conséquences que cela cause au niveau l’environnement ?

La première conséquence, c’est au niveau de la faune marine. On a retrouvé des tortues marines avec des fourchettes jetables plantées dans le nez. Récemment en Philippine, en mars 2019, une baleine est morte après avoir ingéré 40 kg de sacs plastiques, qu’on a retrouvés dans son estomac. Parfois, certains poissons confondent ces plastiques à des méduses, qui représentent des proies à avaler.

On dit que, si on ne fait pas attention, d’ici 2050, il y aura plus de plastiques en mer que de poissons. Cela crée assez de problèmes. Quand on ouvre certains poissons, on voit plein de débris plastiques et de déchets dans le ventre. Finalement cela va se retrouver dans nos assiettes.

Quelle politique à mettre en place pour réduire les déchets en mer ?

Nous avons deux leviers. Un au niveau national, puis un autre au niveau international.

Au niveau national, on doit chercher à mettre fin aux sources de pollution marine. Si chacun dans son pays essayait de faire un effort pour éviter que ces déchets se retrouvent en mer, aura fait beaucoup. Dans le cas de notre pays, vous voyez bien que c’est les déchets ménagers mal gérés qui finissent par être des déchets de rue et ensuite des déchets en mer. Ça veut dire que tant que nous n’arrivons pas à gérer les déchets de nos villes, on aura beaucoup de déchets en mer. C’est un premier point.

Au niveau mondial, il y a des réunions internationales, notamment organisées par les Nations-Unies, visant à gérer les déchets déjà présents en mer, et qui a des impacts permanents sur le milieu marin et sa biodiversité.

Nous faisons parfois des partenariats avec des ONG, afin de consacrer une journée ou quelques semaines au nettoyage des plages. Cependant, au bout d’une semaine vous trouvez que tout est à nous nouveau envahi. En conclusion, seule la prévention est efficace.

Pouvez-vous nous citer quelques sources de pollution ?

Il y a plusieurs sources de pollution. Certaines sont liées à l’exploitation minières, telle que la pollution tellurique. Il y a également la pollution par les eaux usées et d’autres rejets liquides. Les rejets liquides des unités industrielles doivent passer par des bassins de traitement, où on vérifie leur composition chimique ; s’assurer qu’ils n’ont pas d’effets sur l’environnement, sur la faune ou la flore, avant tout rejet en mer. Malheureusement, ils sont souvent rejetés à l’état brut, sans aucun traitement. En agissant ainsi, on empoisonne la faune et la flore marine à petite dose. Et finalement, nous détruisons la vie marine.

Parlant du cas Guinéen, quelles sont mesures prises par les autorités contre la pollution en mer ?

Ce qu’on fait en Guinée, avec les moyens dérisoires de notre service, c’est de pratiquer des mesures de prévention, de contrôle et de surveillance. C’est-à-dire, faire des patrouilles. Quand on voit un cas de rejet en mer, on interpelle l’entreprise et on lui demande de prendre des mesures de conformité. En envisageant éventuellement des cas de mise à l’amende.

Cependant, il faut reconnaitre que ce n’est pas toujours le cas, et ce n’est pas parfois évident, pour nos services, car si une entreprise n’est pas prise en flagrant délit, c’est parfois difficile à prouver. Car il arrive que des entreprises installées du littoral, font des installations qui traversent plusieurs mètres pour aller aboutir dans la mer. Pour de tels cas, il faut une enquête sérieuse et rigoureuse pour le déceler.

Aussi, pour parler franchement, il reste beaucoup de chose à faire dans notre pays par rapport à ces genres de situation. Puisque dans la pensée populaire, l’océan est considéré comme une immensité sans fin, et qu’on peut y jeter toute sorte de choses ; et que l’océan peut tout diluer et tout absorber. Alors que ce n’est pas du tout le cas.

On oublie que les 70% de la vie marine sont concentrés dans la zone du littoral jusqu’à 30 mètres de profondeur. C’est là où les 90% des plantes se trouvent ; car c’est là que la photosynthèse est possible ; et c’est là où les poissons viennent pondre, naître, se développer et grandir, puis aller en haute mer. C’est malheureusement dans cette même partie que les polluants issus de nos activités sont concentrés. Donc c’est là où les polluants sont concentrés, les activités de dégradation sont concentrées.

D’ailleurs, pour votre information, avec les députés de la commission environnement, développement durable, et rural de l’assemblée nationale, nous sommes en train de nous battre pour qu’il y ait, en Guinée, une loi littorale. Cette loi va cette règlementer cette zone spécifique de rencontre entre la mer et la terre. Donc cette zone d’interaction, afin de préserver la biodiversité marine et côtière, y compris les différentes activités qui s’y déroulent.

Un mot pour sensibiliser les citoyens par rapport au respect des normes environnementales ?

Je veux dire aux citoyens que la mer est quelque chose qui est à préserver. Il y a plus d’espèces vivantes dans l’océan que sur la terre ferme. Et ça nous procure l’alimentation et beaucoup de ressources. Il faut que les gens sachent que nous devons préserver cet océan en évitant d’y apporter nos surplus de polluants ; en sachant que la mer va nous rendre, tôt ou tard, tout ce que nous y rejetons. C’est donc dans notre intérêt commun de préserver ce bien partagé, qui nous lie à tous les autres continents.

Merci monsieur ?

C’est moi qui vous remercie

Entretien réalisé par Younoussa Sylla, pour guineeminesnature.com

 

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