Président de la Chambre des mines de Guinée depuis 2019 et haut représentant du consortium SMB-Winning, le premier producteur de bauxite du pays nous livre son analyse sur l’évolution et les perspectives du secteur minier dans le pays.
En Guinée, Ismaël Diakité a travaillé pour des géants. De 2011 à 2016, il a dirigé la filiale locale de Rio Tinto, qui codéveloppe les blocs 3 et 4 du gisement de fer de Simandou. Depuis 2017, il est le haut représentant du consortium SMB-Winning, premier producteur de bauxite du pays et fondateur du groupement chargé de valoriser les blocs 1 et 2 de Simandou. Portant aujourd’hui la voix de tous les opérateurs en tant que président de la Chambre des mines de Guinée, il est au fait des plus gros enjeux du secteur minier dans le pays. Rencontre.
Jeune Afrique : Vous travaillez pour le consortium SMB-Winning, impliqué dans la valorisation du gisement de fer Simandou. La Chambre des mines apporte-t-elle elle aussi sa part dans le développement de ce projet ?
Ismaël Diakité : Parallèlement aux opérateurs de Simandou, qui construisent les mines, le chemin de fer et les ports d’exportation dédiés, le gouvernement guinéen élabore la vision « Simandou 2040 ». Elle entend développer l’économie le long de ce futur corridor, avec de nouvelles villes, routes, exploitations agricoles ou encore centres de formation.
Dès qu’un document détaillant clairement cette stratégie sera publié, la Chambre des mines mobilisera les sociétés détenant des permis le long du corridor afin qu’elles s’associent techniquement et financièrement aux initiatives de ce programme utiles au secteur : zones économiques spéciales, incubateurs d’entreprises, offres de services, etc.
Quels sont les sujets pour lesquels la Chambre des mines se bat ?
Afin de défendre les intérêts de nos membres et d’améliorer le climat des affaires, nous travaillons à la sécurisation et à la stabilisation des conventions minières, notamment leur fiscalité. Garantir la paix dans les zones minières, limiter les impacts environnementaux des activités, renforcer le contenu local et la transparence quant à la propriété effective des entreprises, tout ceci fait également partie de nos chevaux de bataille.
Nous traitons aussi de sujets plus ponctuels, comme la renégociation en cours de la convention collective du secteur des mines et des carrières, ainsi que les modalités du rapatriement des recettes souhaité par l’État.
Le gouvernement guinéen tente d’accélérer la transformation des minerais dans le pays. Qu’en pensent les miniers ?
La Chambre des mines soutient l’idée d’inciter les entreprises ayant signé des engagements en ce sens à le faire. Nous échangeons toutefois avec les autorités, car tous les minerais ne sont pas identiques.
La transformation de matières précieuses comme l’or est plus aisée que celle de minerais métalliques, comme la bauxite. Des conditions préalables, peu évidentes à trouver en Guinée, sont indispensables à tout projet : une source d’énergie économiquement rentable, des ressources en eau, des réserves foncières pour gérer les boues rouges dégagées par la transformation de la bauxite en alumine. Le contexte de marché, lui aussi, est essentiel.
C’est-à-dire ?
À l’heure actuelle, l’État guinéen incite surtout à la construction de raffineries d’alumine métallurgique, qui permet ensuite de produire de l’aluminium [la bauxite est transformée en alumine, qui elle-même est traitée pour produire de l’aluminium].
Mais il y a un marché en pleine expansion, celui des alumines de spécialité, des produits à haute valeur ajoutée qui entrent, en particulier, dans la fabrication de batteries et de matériaux réfractaires, qui servent d’isolants dans les appareils électriques. Avoir à la fois des raffineries d’alumine métallurgique et d’alumines de spécialité serait idéal pour la croissance économique de la Guinée. La Chambre des mines incite donc à cela.
En ce qui concerne l’aluminium, la Guinée ne pourra pas en produire si elle ne dispose pas d’une énergie en quantité, à faible coût, et d’une industrie locale à même d’en consommer une partie.
On parle beaucoup aujourd’hui des minerais critiques, utiles à la transition énergétique. Quelle est la place de la Guinée sur ce marché ?
Depuis deux ans, on constate un engouement dans le pays pour l’acquisition de permis de recherche de cobalt, de nickel, de graphite, de cuivre et de lithium, ou encore de sables minéralisés. Mais, pour beaucoup, nous avons seulement des indices de leur présence, car les études se sont jusqu’à présent concentrées sur l’or, les diamants, la bauxite et le fer.
La connaissance géologique du potentiel doit donc être approfondie avant de savoir si la Guinée aura une place significative sur ces métaux. On a toutefois déjà découvert un vaste gisement de graphite à Lola, dans le sud-est du pays, mais les modalités d’exportation de sa production via le Liberia doivent être précisées.
La vraie carte à jouer pour la Guinée dans les minerais critiques, c’est la bauxite. Cette dernière est d’ailleurs qualifiée de « minerai critique » par l’Union européenne, qui reconnaît son utilité dans la fabrication des batteries, car elle permet d’en réduire le poids. Nous gagnerions à valoriser notre bauxite auprès des acheteurs en mettant en avant non seulement sa valeur marchande, mais aussi sa valeur technologique et écologique.
La Chambre des mines a-t-elle une voix sur la question de l’orpaillage illégal ?
Le manque d’encadrement de l’orpaillage en Guinée engendre des risques humains, avec les éboulements, environnementaux, avec l’utilisation de produits toxiques, et des risques sociaux, du fait du travail des enfants et des afflux de populations étrangères. Toutefois, il produit plus d’argent que les mines formelles, ce qui attire donc de nombreuses personnes, mais provoque un manque à gagner pour l’État, compte tenu de la place importante
Par ailleurs, les orpailleurs envahissent et pillent régulièrement des mines d’or industrielles. Le ministère des Mines, qui cherche à limiter ces dommages, a ainsi décidé, en juillet, de suspendre l’exploitation minière artisanale dans le pays et de fixer les conditions d’une reprise. Pour sa part, la Chambre des mines tente d’approcher ce secteur en offrant des formations et des outils afin de garantir une meilleure santé et une meilleure sécurité au travail. C’est un secteur d’activité important, qui fait vivre de nombreuses familles, nous tentons d’améliorer sa réalité.
Vous plaidez aussi pour une meilleure prise en compte des risques environnementaux liés au secteur minier…
Il est indispensable de rendre le secteur minier africain plus durable et plus efficace énergétiquement. Car, bien que l’Afrique ne soit pas source de beaucoup d’émissions, elle est affectée par le changement climatique. Les températures montent, la biodiversité se dégrade, et tout cela crée d’autres risques environnementaux, mais aussi sociaux, sécuritaires et même économiques.
Il faut donc convertir notre secteur et revoir les plans de développement des mines, pour l’instant très voraces en énergies fossiles. Mais à notre rythme. Une manière de financer cette transition serait l’utilisation de crédits carbones, obtenus en échange d’actions destinées à réduire les émissions.
Avec jeuneafrique.com