Un collectif d’organisations de la société civile en Guinée (1) a aujourd’hui demandé au gouvernement guinéen de revoir radicalement le texte d’un document cadre (2) présenté le 5 mars par le comité interministériel et visant à établir une politique nationale sur la relocalisation, l’indemnisation et la compensation des communautés impactées par les grands projets de développements menés en Guinée, comme la construction de barrages ou l’installation de mines.
Selon une analyse effectuée par ce collectif (3) et publiée aujourd’hui, le document en question, produit par le cabinet de consulting sud-africain SRK avec un financement de l’agence allemande pour la coopération internationale pour le développement (GIZ), ne respecte pas le droit guinéen et ne tient pas compte des réalités socioculturelles locales. Plutôt que de protéger les communautés locales, ce processus de réforme risque en réalité d’intensifier la confusion du cadre légal applicable et de perpétuer les violations des droits humains de plus de 100 000 personnes menacées par la réinstallation dans le pays.
« L’intention du gouvernement d’adopter cette politique à la hâte compromettra de façon flagrante l’objectif de limiter les impacts dévastateurs des projets notamment miniers et des barrages hydroélectriques, » a dit Houdy Bah, Maire de la commune rurale de Sangarédi. « Loin de mener à des indemnisations et compensations justes et équitables, la politique risque d’aggraver les tensions et les conflits déjà récurrents. » Selon l’analyse présentée aujourd’hui, la GIZ elle-même n’aura pas respecté sa propre politique des droits humains si le cadre de compensation et réinstallation est adopté dans sa forme actuelle.
L’analyse présentée aujourd’hui par le collectif d’organisations à une conférence de presse à Conakry démontre que ce document cadre national n’a pas été soumis à la consultation des autorités de l’administration déconcentrée, ni des élus locaux, ni des communautés locales dans les zones rurales, alors même que l’implication de tous ces acteurs devrait être indispensable non seulement pour établir un tel texte et s’assurer de sa conformité aux réalités locales, mais également pour l’appliquer par la suite. Les communautés rurales guinéennes n’ont pas eu la chance d’intervenir sur ce texte et peu savent qu’il est en cours d’élaboration. Le gouvernement n’a fait qu’une annonce sur la politique proposée à l’extérieur de Conakry à 12 personnes – et cela dans un pays de plus de 12 millions de personnes.
« Les communautés rurales guinéennes dépendent essentiellement de l’accès à la terre et aux ressources naturelles pour leur survie, et ces personnes doivent être consultées sur les décisions affectant leur accès à ces ressources, conformément aux normes internationales des droits humains, » explique Mamady Koivogui, de l’ONG nationale Association Mines Sans Pauvreté.
Les organisations de la société civile exigent une période minimum de six mois pour accompagner le Comité interministériel à conduire une large consultation dans les zones rurales où la politique sera appliquée.
Outre cette demande de consultation, les organisations de la société civile précisent que le texte ne respecte pas plusieurs droits humains. Entre autres, il ne contient pas d’interdiction des expulsions forcés des communautés locales ni l’obligation de ne recourir à la réinstallation qu’à des fins d’utilité publique. En est aussi absent des mécanismes pour sécuriser les droits fonciers légitimes des communautés locales, pour leur permettre l’accès à la justice, ainsi que des mécanismes obligatoires pour veiller à la consultation libre et pour garantir la transmission d’informations détaillées aux communautés.
Un pays riche en ressources minières
La Guinée qui possède les plus grandes réserves de bauxite au monde – environ 25 millions de tonnes – et un potentiel hydroélectrique immense attire des investisseurs de la Chine, la Russie, la France et les Émirats Arabes Unis, sans oublier la Société financière internationale du Groupe de la Banque mondiale.
Le pays a aussi récemment été choisi pour accueillir le Centre Africain de Développement Minier, qui vise à faire en sorte que les minéraux contribuent à la transformation économique et structurelle du continent, conformément à la Vision africaine pour l’industrie minière adoptée en 2009 par les chefs d’État africains. Portée par ce contexte, la Guinée tente d’affirmer son leadership dans le secteur minier et de se positionner sur l’échiquier mondial.
« Malheureusement, l’exploitation de la bauxite est extrêmement envahissante », a déclaré Mamadou Maladho Diallo de la Convergence Globale des Luttes pour la Terre et l’Eau–Afrique de l’Ouest. « Des terrains ont été mis à nu sur des surfaces d’une ampleur considérable et à une vitesse impressionnante, sans aucune évaluation de l’impact à long terme de ces mines sur les communautés locales. »
Les menaces de déplacement de milliers de villageois ruraux pour faire place à de grands projets, notamment miniers et de barrages hydroélectriques, ne cessent d’augmenter. En 2015, par exemple, environ 380 familles ont été expulsés de force de leurs terres ancestrales situées dans la commune de Kintinian pour permettre l’extension d’une mine d’or d’exploitation à ciel ouvert contrôlée par le géant minier AngloGold Ashanti et soutenue par Nedbank (Afrique du Sud), prêteur intermédiaire de la Société financière internationale (SFI). Plus récemment, les résidents de 13 villages dans l’ouest de la Guinée ont officiellement déposé une plainte avec la SFI pour avoir financé l’extension d’une mine de bauxite nuisible. Les 540 plaignants allèguent que le projet a saisi leurs terres, détruit leurs moyens de subsistance et porté atteinte à l’environnement local.
« Après des années d’hésitation, le gouvernement guinéen a démontré une volonté politique sans précédent de réglementer l’indemnisation, la compensation et la réinstallation des communautés affectées par les projets de développement », a déclaré l’Honorable Saikou Yaya Barry, député à l’Assemblée Nationale.
« Mais le gouvernement sera jugé par ses actions et non par ses intentions. Son engagement en faveur du développement durable se révélera être une fraude si le gouvernement adopte cette politique telle qu’elle est et ne parvient pas à l’aligner sur les lois de la Guinée et la volonté de son peuple. »
« Le fait qu’un pays comme la Guinée, possédant les plus grandes réserves connues au monde de bauxite, n’ait pas de standards nationaux est déconcertant : la pratique jusque-là a consisté à ne pas, ou presque jamais, réhabiliter, restituer ou remplacer les terres prises aux communautés, » ajoute Saa Pascal Tenguiano, Directeur Exécutif de l’ONG le Centre de Commerce International pour le Développement. « C’est pourquoi ce processus de réforme ne peut pas être un échec. Absolument tous les pays miniers ont besoin de telles normes. Nous sommes ici pour aider le gouvernement à bien faire les choses. »
Informations utiles :
- Le collectif de la société civile en Guinée regroupe sept organisations : Action Mines Guinée – AMINES ; Association Mines Sans Pauvreté -AMSP; Association pour le Développement Rural et l’Entraide Mutuelle de Guinée ADREMGUI ; Centre du Commerce International pour le Développement – CECIDE ; Créativité et Développement – CDev ; Mêmes Droits pour Tous – MDT ; Réseau National de la Société Civile pour la l’Environnement et le Développement Durable – RENASCEDD.
- « Cadre National d’Acquisition des Terres et de Relocalisation : Un guide pour la gestion des déplacements physiques et économiques involontaires pour les projets du secteur public et privé en Guinée. »
- Analyse du document portant « Cadre National d’Acquisition des Terres et de Relocalisation : Un Guide pour la gestion des déplacements physiques et économiques involontaires pour les projets du secteur public et privé en Guinée »