La République de Guinée regorge d’immenses  potentialités  minières déjà exploitées  depuis plusieurs décennies. Même si  cette activité génère  des revenus énormes, le pays est loin de voir le bout du tunnel.

L’exploitation de ces ressources naturelles permet aux  autorités et communautés riveraines des zones minières  d’engranger  d’énormes  fonds  via  les multinationales. Ces entités bénéficient de retombées financières, à travers   la contribution au développement local conformément à l’article 130 du code minier guinéen,  les  taxes  superficiaires, indiquées à l’article 160 de la  même législation, les contributions volontaires, les royalties  et tant d’autres.

Parmi les localités qui bénéficient de la rente minière figurent entre autres les préfectures de Dinguiraye, Kindia et Boké. Pour ce qui est de  Dinguiraye qui abrite la Société Minière Dinguiraye (SMD), celle-ci a payé au titre des années 2013, 2014 et 2015, un montant d’un million de dollars soit à l’époque environ  plus de 15 milliards de francs guinéens pour sa contribution au développement local,  appelée par le passé taxe sur le chiffre d’affaires. Ce  paiement de 0,2% des bénéfices de la société, devenu 1% avec la nouvelle donne, était conforme à sa convention de base ratifié avec l’État guinéen.

Pendant cette période, Mouloukou Souleymane Camara était le préfet de la zone. Cet administrateur avait créé  à son  temps une commission de gestion de ces ressources financières dont il était à la tête. Cette structure « fantôme » parallèle,  qui n’avait aucun fondement juridique avait pour vocation la passation des marchés au niveau local. Leurs  procédures étaient des marchés de gré à gré avec des prélèvements de 3%  du montant de la réalisation de chaque projet, qui est déversé à ladite commission, en plus 3% comme taxe locale.

Un acte qui était contraire à la législation du pays. Car les textes disent qu’un préfet n’a aucun droit de s’impliquer dans la gestion de ces fonds. Seul le comité  préfectoral de développement (CPD) avait le droit de gérer les montants, une structure dirigée par un élu local ou un acteur de la société civile. Mais à Dinguiraye, c’est le préfet qui coordonnait les deux structures, une manière pour lui d’avoir la main mise sur la manne financière.

Quelques mois après la réception du montant de la taxe sur le chiffre d’affaire, notre équipe s’était rendue sur le terrain pour s’enquérir de l’impact de cette contribution de la société minière en question. Sur le terrain, le constat a été amer. Le fait est que la villa de résidence des hôtes a été rénovée d’une couche de peinture avec la mirobolante somme de huit cent millions de franc guinéen (800 000 000 GNF) selon les aveux du préfet Mouloukou Souleymane et des documents que nous avons pu consulter.

Ensuite, son secrétaire général chargé des collectivités qui a reçu à rénover son domicile de trois chambres, salon et douche interne à hauteur de trois cent millions de francs guinéens (300 000 000 GNF) sans parler d’autres cadres qui ont profité allègrement de cette manne. Une ONG locale qui évolue dans la protection de l’environnement a également encaissé quatre cent millions de francs guinéens (400 000 000 GNF) pour dit-on équiper la préfecture en outils informatiques et former le personnel. Ce qui est évidemment en déphasage avec l’objectif du paiement  des redevances minières dont la mission est d’investir dans le contenu local et dans des projets porteurs de croissance ou qui rentrent dans le cadre du développement des communautés.

En octobre 2017, la même société  a payé 75 000 USD soit 725 millions 604 000  francs guinéens pour les redevances superficiaires des années 2007, 2008, 2010 et 2011 avec 5 000 FG prévus par km2 selon l’ancien code minier qui été rehaussé dans le nouveau code minier à 150 USD. Cet acquittement  fait suite à plusieurs tractations entre les citoyens, l’agent judiciaire de l’État et l’entreprise.  C’est à cette période que Mouloukou Souleymane a été limogé et remplacé par le commandant Mamadou Lamarana Diallo, un homme d’affaire qui a poursuivi sur la même lancée que son prédécesseur qui a également profité de manière illicite du versement de ces redevances antérieures.

La commune rurale de Banora, qui est directement impactée par l’exploitation de la SMD a reçu cinq cent huit millions de francs guinéen (508 000 000 GNF). L’agent judiciaire de l’État sur la base d’aucun fondement juridique s’est adjugé 8% du montant soit cinquante-huit millions quarante-huit mille quarante (58 048 040 GNF) et 10% équivalant à soixante-douze millions cinq cent soixante mille quatre cent (72 560 400 GNF) ont été versés à la préfecture et enfin 5%  soit trente-six millions deux cent quatre mille deux cent (36 280 200 GNF) sont revenus à la commune conformément à l’arrêté ministériel 001/MATD/CAB/2013, qui explique les modalités provisoires  de gestion  de ce type de taxes allouées aux collectivités locales.

Selon nos enquêtes, les  marchés octroyés à des entrepreneurs locaux ont été de gré à gré. Conséquences : certains  ouvrages sont bâclés ou abandonnés, parfois les fonds détournés et le promoteur a pris la fuite. Comme ce fut le cas du premier entrepreneur qui avait bénéficié  du contrat de rénovation de la maison des jeunes de  la commune urbaine de Dinguiraye.

Le gouffre à  Kindia, zone bauxitique

Dans cette localité située à 150 kilomètres de la capitale Conakry, où opère la compagnie des bauxites de Kindia (CBK), plus de 6 milliards de GNF ont été dilapidés ces dernières années.

En 2016, la société a versé un montant de 324 000 USD soit deux milliards neuf cent quatre-vingt-neuf millions quatre cent cinquante-trois mille cinq cent  (2 989 453 500 GNF) pour la contribution au développement local conformément  à  sa convention de 2000, à son article 3, annexe C4, portant sur la contribution au développement local à partir de la même année, signé le 06 juillet 2006, qui indique que le promoteur s’engage à ce niveau à payer un montant forfaitaire calculé à raison de 0,1 USD par tonne nette de bauxite exportée par trimestre.

Dès après la réception du chèque  par le receveur communal, le préfet d’alors Mohamed Dine Camara, a créé aussi  une commission de partage de la somme, sans aucun fondement juridique. Au sortir des échanges qu’il a eus  avec les parties prenantes de la préfecture, il s’est arrogé le droit de façon unilatérale de partager ( ?) le montant de la redevance en attribuant des montants  aux différentes communes rurales, urbaine, à la police ( ?), la gendarmerie( ?), les médias locaux( ?) et ses services à la préfecture. La localité de Friguiagbé dirigée à l’époque par Fodé Nicole Soumah et qui est directement impactée par l’activité de la CBK s’est retrouvé avec le plus gros magot, soit 670 000 000 GNF représentant 22, 41% du montant global.

Furieux de l’attitude du préfet, Abdoulaye Bah, le président de la délégation spéciale de la  commune urbaine de Kindia, à cette époque s’est opposé à l’implication du préfet dans la gestion de cette contribution au développement local, notamment dans la gestion du montant de 100 millions octroyés à la  commune urbaine après le partage. Il est allé jusqu’à demander à la Banque Centrale de geler les fonds, malheureusement cette requête n’a pas porté fruit.

A en croire nos sources, certains responsables basés à Conakry bénéficient chaque année de ces fonds. Une information qui avait déjà été confirmée par Nicole Soumah, dans sa langue locale soussou que nous avons enregistré lors d’une réunion restreinte au sujet du partage des fonds. Il avait alors dit « vous savez que nos responsables qui sont au niveau central ont leur part dans cette somme ».

Le même Monsieur n’a pas tardé, une fois l’encaissement de fonds pour sa commune, a procédé à la construction d’une maison à habitation dans sa concession. Informé de  la nouvelle, les jeunes de Friguiagbé sont venus interroger la famille de leur maire par intérim, sur l’origine de l’argent lié à ce projet. La réponse a été accablante. Conséquence, les jeunes s’en ont pris à la concession pour cible, Fodé Nicole qui a appelé les services de sécurité de Kindia pour venir le sauver. C’est ainsi qu’il s’est exilé à Kindia ville. Quelques jours après, le parti au pouvoir l’a remplacé.

Pour ce qui est du Préfet, la bataille fut rude entre celui-ci  et Abdoulaye Bah. Suite aux dénonciations des médias sur sa mauvaise gestion de ces redevances, il a été  sanctionné par le président Condé qui lui a  muté  dans la préfecture de Lelouma, une localité  dépourvue de ressources financières, mais avec la même fonction.

En 2017, la CBK a également déversé 345 000 USD, soit plus de trois milliards de GNF. Ce montant a subi la même pratique   que le précédent  avec cette fois-ci comme responsable de la structure de partage Abdoulaye Bah, couronné par le nouveau préfet.

A Boké, les mêmes faits se sont produits

En 2016, plus de huit cent millions de francs guinéens issus des redevances minières, ont été détournés. Dans ce montant, quinze millions (15 000 000GNF)   viennent  de la  taxe superficiaire versée par la société française Alliance Minière Responsable (AMR), ensuite des contributions au développement local de la compagnie des bauxites de Guinée (CBG) et tant d’autres taxes locales.   A l’origine, le receveur communal à l’époque, Mansa Touré qui était  en cavale à Dakar au Sénégal, maintenant revenu à Conakry. Cet homme  avait un chéquier parallèle. Ce qui lui a permis de sortir cette somme à la Banque BICIGUI de Boké  où le compte de la commune est domicilié.

Modibo Fofana  désormais ancien président de la délégation de la localité qui nous avait présenté les chéquiers, s’était livré à  une guerre contre ce receveur. Malheureusement, les autres conseillers l’avaient accusé d’être complice de ce détournement. Cela a eu comme  impact sa destitution par ses pairs.

La persistance  du  virus de détournement constaté au  sommet de l’Etat.

Le gouvernement qui est censé donner la bonne leçon, s’est  aussi  abimé dans la marre  de détournement des fonds versés  par les compagnies minières via ses régies financières. Dans les rapports ITIE, de nombreux écarts de déclarations de montants  sont enregistrés entre l’Etat et les entreprises extractives. Une situation qui suscite  de doutes et  de suspicions de désorientation de la rente minière.

 

Diallo Mamadou 3, journaliste d’investigation spécialisé en mines et environnement

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