Avec 26,04 %, le taux de réussite au baccalauréat 2018 crée l’émoi et la polémique en Guinée. Une situation confirmée par le classement peu reluisant sur l’indice de compétitivité globale 2018, respectivement 133ème et 122ème sur 137 pour l’enseignement primaire et l’enseignement supérieur. Qu’est-ce qui mine le système éducatif guinéen ?
La politisation à outrance du système
Le système éducatif guinéen est handicapé par bien des difficultés et particulièrement sa politisation. En effet, chacun des régimes qui se sont succédé depuis les indépendances ont méprisé les acquis antérieurs. La rivalité politicienne poussait chaque nouveau régime à effacer toutes les œuvres de ses prédécesseurs, et à capitaliser sur les acquis. Cette situation prive de l’effet d’accumulation des expériences nécessaires pour réussir les réformes structurelles et indispensables. C’est dans ces conditions, par exemple, qu’après l’arrivée au pouvoir du régime de Lansana Conté en 1984, il y a eu les assises nationales de l’éducation qui ont remis en question tout le système éducatif. Ceci a conduit à la juxtaposition de plusieurs mesures, souvent contradictoires et conflictuelle, qui ont bloqué la marche vers une réforme saine.
Ensuite, le bras de fer permanent entre gouvernement et syndicats est également un symptôme de la politisation de la gestion éducative. Les grèves sont alors devenues un instrument, non plus de revendications corporatives, mais de pression de l’opposition politique qui s’associe souvent aux syndicalistes pour amplifier les grèves. Quant au gouvernement, il se réfugie derrière l’alibi de la politisation des grèves pour dissimuler ses tares. Avec le temps, c’est devenu cyclique. Ce fut le cas lors des grèves déclenchées en novembre 2017 considérées comme illégales et qui ont donné lieu à des arrestations au lieu d’une négociation des points de revendications.
Cette configuration conflictuelle n’est pas de nature à permettre aux acteurs d’amorcer une transformation positive du système éducatif. Mais ils n’expliquent pas à eux seuls la déliquescence de l’éducation en Guinée.
La mauvaise gouvernance
Pour qu’un système éducatif produise des résultats satisfaisants, il est dispensable qu’il soit bien gouverné avec une mission, des moyens et des hommes qualifiés. Or, le fonctionnement du système éducatif guinéen est aux antipodes de cet impératif. Cette mauvaise gouvernance prend ces racines, entre autres, dans les nominations à des postes clés de décision sur la base de critères ethniques, régionalistes et électoralistes.
Cela implique, d’une part, que les bénéficiaires de ces postes développent un réflexe de gratitude envers leur bienfaiteur, les empêchant d’avoir l’autonomie nécessaire pour prendre des initiatives. D’autre part, ces mêmes bénéficiaires se sentiront au-dessus de toute reddition des comptes car assurés de la protection de leurs mentors, ce qui se traduit par la prépondérance de la culture d’irresponsabilité mère de tous les maux de gouvernance.
L’accès aux postes à haute responsabilité est guidé également par la nécessité d’entretenir une certaine popularité pour avoir un poids électoral et se maintenir au pouvoir. Cette logique politicienne se répercute d’ailleurs dans les recrutements à la base qui ne remplissent pas des critères objectifs mais plutôt des critères d’allégeance et de fidélisation de l’électorat.
L’allocation des ressources dédiées à l’éducation nationale n’échappe pas non plus à une prise en otage et à une redirection vers les bastions des différents cadres proches du pouvoir. De même, de l’aveu du Président de la République lors du Forum de l’Étudiant Guinéen en mai 2018, des milliers d’enseignants n’ayant pas le niveau requis ont été recrutés sous la pression des syndicats.
La mauvaise qualité des programmes
Le système éducatif forme des citoyens mais aussi des professionnels pour le marché du travail. Toutefois, la Guinée ne fait pas de prouesses à ce niveau. Il existe un décalage entre la formation et les exigences sur le marché de l’emploi. Cette inadéquation peut s’expliquer principalement par le manque de liberté de choix laissé aussi bien aux offreurs qu’aux demandeurs de formation.
Du choix des manuels scolaires au déroulé des programmes, les décisions sont fortement centralisées dans les ministères. Cette limitation de choix écarte les ressources humaines des formations les plus utiles et productives pour répondre aux besoins du marché de l’emploi. Par ailleurs, cette centralisation des décisions freine la diversification des offres de formations.
Pour exemple, les études secondaires sont sanctionnées par un baccalauréat dans seulement trois filières : sciences naturelles, sciences expérimentales et sciences mathématiques. Ceux qui rêvent d’études techniques devront encore patienter. De même, après le Baccalauréat, les étudiants ne sont pas libres de leur cursus mais sont orientés par une commission et répartis dans l’une des 19 universités du pays, indépendamment de leur lieu d’habitation.
Face aux rigidités du secteur public, le secteur privé peine à relever le défi. Soulignons que la création tous azimuts d’universités privées a été motivée par les effectifs pléthoriques du public qui ont donc été redirigés vers elles et subventionnés par l’État. C’est donc une logique quantitative. D’où l’existence de 57 universités privées dont 40 sont concentrées à Conakry.
Oubliant l’impératif qualitatif de l’éducation, l’État a négligé son rôle de régulateur du système éducatif. Ainsi, il n’a pas instauré un cahier des charges clair et contraignant, ce qui explique la multiplication d’officines d’enseignement plutôt que d’établissements de qualité. Faute de qualité, les secteurs public et privé produisent des lauréats non employables d’où un taux de 60 % des jeunes âgés de 15 à 24 ans économiquement inactifs ou au chômage.
Ainsi, il est urgent de stopper la déliquescence du système éducatif guinéen. C’est une urgence nationale de laquelle dépend la paix sociale. Pour cela, il est nécessaire de dépasser tous les clivages partisans afin d’élaborer une stratégie à même de remédier aux défaillances structurelles dont souffre le système. Le premier pas est la dépolitisation du système afin de ramener la réforme à une recherche d’efficacité. Après tout l’éducation n’est qu’un investissement dans le capital humain.
Source: ADV – Une contribution de Mauriac Ahouangansi, doctorant-chercheur béninois.