La Terre devrait porter autour de 10 milliards d’individus d’ici 2050, ce qui fait 3,4 milliards de bouches en plus à nourrir. Compte tenu de l’appétit des classes moyennes des pays émergents pour les produits carnés et laitiers, l’augmentation de la demande alimentaire mondiale pourrait être de 59, voire 98 pourcent. L’agriculture mondiale va devoir produire plus et améliorer ses rendements. Or les scientifiques prévoient que les impacts du changement climatique (hausse des températures, phénomènes météorologiques extrêmes, sécheresses, augmentation de la teneur en dioxyde de carbone et élévation du niveau de la mer) risquent de réduire la quantité et la qualité de nos ressources alimentaires…

Une étude récente de la production mondiale de légumes et de céréales montre que si les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter au rythme actuel, les rendements pourraient s’effondrer de 35 pourcent d’ici 2100 du fait du manque d’eau et de l’augmentation de la salinité, couplés à la plus forte concentration d’ozone.

Une autre nouvelle étude indique que la production de maïs aux USA (qui sert à nourrir le bétail et à fabriquer des biocarburants) pourrait être divisée par deux d’ici 2100 du fait de l’augmentation de 4˚C de la température globale que pourraient entraîner nos émissions de GES. Et même si nous maintenons la hausse des températures sous la barre de 2˚ C, conformément à l’Accord de Paris sur le climat, cette production pourrait tout de même décliner d’environ 18 pourcent. Et dans ce scénario de 2˚C de hausse, les chercheurs estiment à 7 pourcent la probabilité que les quatre plus gros exportateurs mondiaux de maïs (USA, le Brésil, l’Argentine et l’Ukraine) subissent simultanément une perte de 10 pourcent de leur récolte. Pour une augmentation de 4˚C, cette probabilité atteint le niveau effarant de 86 pourcent !

Le sujet le plus inquiétant pour nous est l’effondrement des rendements,” explique Peter de Menocal, Dean of Science de l’Université de Columbia et directeur du Center for Climate and Life. “Nous avons déjà du mal à nourrir la population mondiale et cette pression supplémentaire sur les rendements agricoles va aggraver l’inégalité entre les pauvres et les riches.”

Il faut aussi noter que le changement climatique ne bouleversera pas que les cultures mais aussi l’élevage, la pisciculture et d’autres domaines cruciaux pour nos ressources alimentaires.

Les conditions météorologiques seront de plus en plus défavorables pour les cultures

80 % des cultures dans le monde dépendent des précipitations car les agriculteurs produisent en fonction de conditions climatiques prévisibles. Or, le changement climatique bouleverse profondément la pluviosité saisonnière dans le monde. L’air plus chaud retient plus l’humidité, ce qui augmente l’intensité des précipitations. Le phénomène est de plus en plus fréquent et les dommages causés aux cultures font baisser les rendements mécaniquement.

Les inondations liées à l’intensification des orages tropicaux et à l’élévation du niveau de la mer, qu’accentuent aussi le réchauffement climatique, noient des cultures et répandent des eaux contaminées par les égouts, les  déjections animales, les routes, les fermes ou les espaces verts. Ces pathogènes et toxines peuvent alors se retrouver dans nos aliments.

Le réchauffement climatique va augmenter l’évaporation d’eau, aggraver les sécheresses et raréfier l’eau d’irrigation dans les périodes les plus critiques.

On estime à 10 pourcent les terres agricoles dans le monde qui sont irriguées par une eau de surface non-renouvelable. Autrement dit, les nappes phréatiques s’épuisent plus vite qu’elles ne se reconstituent, ce qui va s’aggraver si le réchauffement continue selon Michael Puma, directeur du Columbia Center for Climate Systems Research.

Ces observations concernent toutes les grandes régions agricoles (les grandes plaines des USA, le centre de la Californie, le Pakistan, l’Inde, le nord-est de la Chine, et certaines régions d’Iran et d’Iraq.

« La raréfaction des eaux de surface est une bombe à retardement pour nos systèmes alimentaires, » conclut le professeur Puma. “Et nous sommes dramatiquement démunis face au risque de raréfaction de nos principales ressources dans les grandes régions nourricières de la planète.”

Selon les prévisions climatiques, les sécheresses affecteront la plus grande partie du sol états-unien et particulièrement le sud-ouest. Dans d’autres parties du monde, la sécheresse et le déficit d’eau affecteront probablement la production de riz, qui est l’aliment de base de plus de la moitié de la population mondiale. Lors des pires sécheresses, le rendement des rizières qui ne sont arrosées que par la pluie tombe de 17 à 40 pourcent. En Asie du sud et du sud-est, 23 millions d’hectares de rizières dépendant des précipitations souffrent déjà du manque d’eau, et des sécheresses récurrentes touchent quelque 80 pourcent des rizières d’Afrique dépendantes des précipitations.

Les évènements météorologiques extrêmes, tels les pluies diluviennes et les grandes sécheresses affectent le transport et la distribution des denrées. Mal stockées, elles risquent de pourrir et de faire courir un risque sanitaire aux populations par la contamination des aliments. La forte sécheresse de l’été 2012, par exemple, a limité le trafic des péniches sur l’un des principaux axes de transport des récoltes du centre-ouest des Etats-Unis : le Mississippi. Il en est résulté des pertes agricoles et économiques substantielles. Et au printemps suivant, des inondations ont à nouveau pénalisé le transport des céréales.

La hausse des températures réduira les rendements agricoles

Si le réchauffement climatique peut doper certaines cultures (la pomme de terre en Europe du Nord, le riz en Afrique de l’ouest), avec de nouvelles opportunités de culture dans ces régions, le changement climatique pourrait priver les agriculteurs de leurs cultures traditionnelles, les conditions optimales se rencontrant désormais à des latitudes plus hautes. Mais dans ces zones, le sol peut être moins fertile, entraînant une réduction des surfaces cultivables.

Selon le rapport publié en 2011 par la National Academy of Sciences, chaque degré Celsius de réchauffement climatique supplémentaire réduira la production agricole globale de 5 à 15 pourcent. En effet, lorsque les températures dépassent certaines limites propres à chaque plante, les rendements chutent car la chaleur perturbe la pollinisation, la floraison, le développement des racines et les différentes étapes de croissance.

En outre, la multiplication des vagues de chaleur va affecter la fertilité du bétail, rendu plus vulnérable aux maladies. De même, les vaches laitières produisent moins de lait quand il fait chaud. Les parasites et les maladies du bétail se développent par temps chaud et humide : les éleveurs et vétérinaires administrent plus de médicaments et épandent plus de produits chimiques pour traiter les nuisibles, et ces substances peuvent à leur tour pénétrer la chaîne alimentaire.

De plus, le changement climatique va favoriser l’expansion des mauvaises herbes, nuisibles et moisissures. Avec des printemps plus précoces et des hivers plus doux, leur durée de vie se trouvera allongée…

L’apparition de nouveaux parasites et maladies est une menace supplémentaire pour les cultures qui n’auront pas le temps de développer des systèmes de défense. Par exemple, de nouvelles souches mutantes de la rouille du blé, une moisissure originaire d’Afrique qui avait disparu depuis plus de 50 ans, a envahi et détruit des cultures en Asie, au Moyen Orient et en Europe.

L’augmentation du niveau de dioxyde de carbone rendra les cultures moins nutritives

Les plantes ont besoin de dioxyde de carbone pour fabriquer leurs nutriments et la plus grande concentration de CO2 peut doper les rendements agricoles dans certaines zones si les autres conditions, comme l’humidité du sol et la disponibilité en eau sont adéquates. Or, les bénéfices d’une hausse des niveaux de dioxyde de carbone sont anéantis par les phénomènes météorologiques extrêmes comme la sécheresse ou la chaleur.

En effet, si l’augmentation du niveau de CO2 peut stimuler la croissance des plantes et leur production de glucides, cette augmentation se fait au détriment des protéines, des vitamines et des minéraux. Les chercheurs ont aussi montré que la valeur protidique des plantes sera probablement substantiellement moindre si la teneur en dioxyde de carbone grimpe comme attendu d’ici 2100 à 540, voire 960 parties (contre 409 ppm aujourd’hui) par million. Les résultats sur l’orge, le blé, les pommes de terre et le riz montrent un appauvrissement de 6 à 15 pourcent en protéines à ce niveau de concentration de CO2. Le bilan protidique du maïs et du sorgho parait néanmoins largement inchangé.

De plus, les concentrations de nutriments importants comme le fer, le zinc, le calcium, le magnésium, le cuivre, le soufre, le phosphore et l’azote devraient baisser en raison de la plus forte concentration de CO2 : les pores des pousses et des feuilles se contractent, ce qui réduit leur transpiration et donc ralentit la circulation des plantes, d’où une moindre absorption d’azote et de minéraux du sol. Le niveau en vitamine B des cultures peut aussi baisser car celui-ci dépend de l’absorption d’azote. Une étude portant sur du riz cultivé avec des concentrations de CO2 plus importantes que la moyenne actuelle montre un déficit de 17 pourcent en vitamine B1 (thiamine), 17 pourcent en vitamine B2 (riboflavine), 13 pourcent de vitamine B5 (acide pantothénique), et 30 pourcent de vitamine B9 (folacine).

Des océans plus chauds et plus acides

Quelque 540 millions de personnes dans le monde se nourrissent des produits de la mer et en tirent leur revenu. Mais ceux-ci souffriront du réchauffement climatique. Depuis 1955, les océans ont absorbé plus de 90 pourcent de la chaleur supplémentaire emprisonnée dans l’atmosphère par les GES. La température des océans atteint des niveaux inégalés depuis le début des relevés en 1880.
Avec ce réchauffement, poissons et crustacés migrent vers le nord où les eaux sont plus fraîches.

Au large des côtes nord-est des Etats-Unis, Les homards, le merlu rouge et le bar noir sont remontés en moyenne de 320 kilomètres depuis la fin des années 1960. Au Portugal, les pêcheurs commencent à remonter 20 nouvelles espèces, essentiellement venues de secteurs où les eaux sont plus chaudes. Par exemple, le saumon quinnat, habitué des côtes de la Californie et de l’Orégon est observé dans les rivières de l’Arctique. Cette migration les expose à la concurrence des espèces endémiques pour la même nourriture, ce qui peut augmenter leur mortalité. Les pêcheurs aussi en pâtissent puisqu’ils doivent suivre les espèces qu’ils ont l’habitude de pêcher soit se tourner vers des espèces différentes. La pêche doit suivre la mutation des écosystèmes, ce qui pénalise les populations de pêcheurs dont les quotas pour certaines espèces ne sont plus adaptés.

Le réchauffement des eaux peut aussi modifier les cycles de migration et de reproduction des poissons, et pourrait accélérer leur métabolisme, ce qui accroitrait leur absorption de mercure. Or la pollution au mercure, issue de la combustion des carburants fossiles, se retrouve dans les océans et s’accumule dans les créatures marines. La consommation de poisson induit une ingestion de mercure, avec des effets potentiellement toxiques.

L’élévation de la température de l’eau favorise la multiplication des pathogènes et des maladies de poissons comme le saumon. La bactérie vibrio, qui se développe à la surface des eaux de mer réchauffées, peut contaminer les crustacés, causant des diarrhées accompagnées de fièvre et de maladies hépatiques chez l’homme.

Outre son réchauffement, l’océan absorbe environ un tiers du dioxyde de carbone émis par l’activité humaine, altérant ainsi ses propriétés chimiques.L’eau de mer est désormais 30 pourcent plus acide qu’elle ne l’était pendant la Révolution Industrielle.

Au fur et à mesure que l’acidité des océans augmente, les ions de carbonate se raréfient, ce qui freine la construction des coquilles et des squelettes. Certains crustacés, tels que les moules et les ptérapodes (minuscules escargots marins à la base de la chaîne alimentaire) présentent déjà des coquilles plus fines, qui les rendent plus vulnérables. L’acidification des océans peut en outre nuire aux larves de poissons et altérer leur sens olfactif, vital pour se nourrir, choisir leur habitat et échapper aux prédateurs.

Selon les travaux du Columbia Center for Climate and Life, le réchauffement et l’acidification des océans peut déterminer la réorganisation des communautés microbiennes très fragiles mais qui constituent la base de la chaîne alimentaire, avec des conséquences incalculables pour nos ressources alimentaires.

La hausse du niveau de la mer

Certains experts estiment que le niveau de la mer pourrait s’élever d’un mètre d’ici 2100 du fait de la fonte de la calotte glacière. En Asie, où les rizières se trouvent essentiellement en zone côtière et dans les deltas, cette élévation associée à l’intrusion d’eau salée dans les terres réduira la production de riz.

De même, la pisciculture d’eau douce pâtira de la remontée d’eau salée dans les rivières. Dans le Delta Mekong (Vietnam), par exemple, ou dans la région d’Irawaddy (Myanmar), l’élevage intensif de poissons-chats sera menacé car cette espèce est inadaptée à l’eau de mer.

Quelles seront les populations les plus affectées par le changement climatique ?

Certaines régions aux plus hautes latitudes pourraient se trouver favorisées et voir leur productivité s’améliorer, mais si les émissions continuent d’augmenter, les perspectives globales pour la production alimentaire à l’horizon 2050 à 2100 seront dégradées.

Les pays riches et les régions au climat tempéré supporteront probablement la plupart des impacts, mais les régions tropicales et les populations démunies seront touchées de plein fouet. Les enfants, les femmes enceintes, les personnes âgées et les plus pauvres ainsi que les personnes dont le système immunitaire est défaillant et celles souffrant de maladies chroniques seront les plus affectées par la dégradation des conditions d’accès à la nourriture et de la sécurité alimentaire.

En outre, du fait que les denrées alimentaires sont échangées sur les marchés mondiaux, les intempéries dans une région affecteront les cours des matières premières alimentaires et causeront des famines dans d’autres régions. Ainsi, depuis et 2006, les sécheresses dans les grands pays producteurs de blé ont fait exploser les cours et de nombreux pays ont été en proie à l’instabilité politique par suite de famines.

L’insécurité alimentaire sera l’une des conséquences les plus dures du réchauffement climatique puisque la population mondiale est majoritairement démunie et que la nourriture va se raréfier et coûter plus cher,” observe le professeur de Menocal.

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